Concertation sur le projet Cigéo : le point de vue des garants

dans Cigéo Meuse / Haute-Marne, le 2 novembre 2020 0 commentaire

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Sollicitée par l’Andra en 2017, la Commission nationale du débat public (CNDP), a nommé des garants de la concertation post-débat public sur le projet Cigéo, aujourd’hui représentés par Marie-Line Meaux et Jean-Daniel Vazelle. Ils ont publié en mai 2020, un premier rapport d’étape. Alors que la concertation sur l’aménagement de l’espace et du cadre de vie reprend sur le territoire et que s’ouvre à l’automne un nouveau cycle de la concertation sur la gouvernance et la phase industrielle pilote de Cigéo, quel regard portent-ils sur leurs missions et sur la démarche de participation du public menée par l’Andra depuis 3 ans ? Entretien.

Le contexte

Depuis 2017, l’Andra a déployé une feuille de route de la concertation sur le projet Cigéo autour de trois grands enjeux : la conception du stockage souterrain, la gouvernance de Cigéo, ainsi que son insertion environnementale et territoriale. Sur le territoire, les thématiques de la gestion de l’eau, de l’énergie, des infrastructures de transport et de l’aménagement de l’espace et du cadre de vie ont fait l’objet de réunions d’information et d’ateliers de travail avec le public. Objectif : associer étroitement les acteurs et les habitants du territoire à l’élaboration du projet.

Pouvez-vous nous rappeler quelles sont vos missions ?

Jean-Daniel Vazelle : en tant que garants de la concertation nous sommes chargés de garantir la qualité, l’intelligibilité et la sincérité des informations qui sont diffusées par l’Andra, dans le cadre de sa démarche de concertation « post débat public » . Nous nous assurons également que les modalités de concertation – le calendrier, les rencontres et les outils utilisés – permettent la participation la plus large et continue possible du public. Le garant n’est pas là pour prendre parti sur le fond du projet, mais pour veiller à la bonne information du public, ce qui est fondamental.

Concrètement, comment intervenez-vous ?

Jean-Daniel Vazelle : nous examinons toute l’information qui est portée au débat et les documents produits par le maître d’ouvrage . Nous discutons avec lui de ce qu’il veut faire, nous demandons de compléter les documents pour qu’ils soient les plus intelligibles possible, épurés au maximum du vocabulaire technique qui complexifie les choses… Notre rôle est aussi de garantir que le public a la possibilité de poser des questions et que celle-ci sont prises en compte par le maitre d’ouvrage.

Marie-Line Meaux : le public ne peut participer que s’il est correctement informé et cette obligation de traçabilité est très importante. Dans le cadre de cette concertation « post débat public » de Cigéo, l’Andra est responsable des documents qu’elle produit et elle n’est pas tenue de suivre ce qu’on lui demande. En revanche, à la fin de notre intervention, nous publions un rapport public dans lequel nous rendons compte de ce que nous avons pu observer en termes de modalité et de tonalité de la concertation : ce que nous avons demandé et pourquoi, si cela a été correctement pris en compte ou pas, et pourquoi. Il est donc dans l’intérêt de l’Agence de tenir compte de nos préconisations.

A quoi sert une démarche de concertation ?

J-D.V : A améliorer le projet. La concertation permet de prendre en compte les vraies réalités du terrain et les besoins de l’environnement immédiat du projet.

M-L.M : Elle doit aussi donner au public le droit que lui reconnait la Constitution de participer aux décisions qui le concerne. Elle rappelle au maître d’ouvrage que le projet concerne l’ensemble des citoyens. On s’aperçoit souvent que les porteurs de projet considèrent la concertation comme de « l’information au public ». Or la concertation vise une égalité de traitement des publics, en donnant la parole à tous ceux qui doivent être entendus par le maître d’ouvrage : les riverains, les associations nationales et locales, les acteurs locaux, etc. Et c’est particulièrement vrai pour un projet d’ampleur nationale et aussi controversé. Par exemple, quand nous avons été nommés, nous avons cherché à entrer en contact avec les opposants au projet. Bien qu’ils aient fait savoir qu’ils ne voulaient pas participer aux démarches en cours, ils font néanmoins partie du public. En 2018/2019, nous avons ainsi assisté aux conférences données par les associations opposantes sur le projet Cigéo et nous en avons tenu compte pour comprendre les questions en débat. C’est aussi une manière d’apprécier les documents : s’il y a une question posée par le public qui ne trouve pas de réponse dans les documents produits pour la concertation, il faut que l’Andra y remédie.

Vous avez publié un premier « rapport d’étape » en mai 2020. Que contient-il et quel bilan fait-il de la concertation menée par l’Andra ?

J-DV : Globalement, nous pouvons dire que les options retenues sur les différents thèmes concertés jusqu’à présent prennent en compte les remarques et suggestions faites au cours des diverses réunions et ateliers. Mais encore une fois, nous n’avons pas à porter d’avis sur le projet soumis à la concertation. Le rapport d’étape ne peut donc être que factuel : nous y rapportons les faits, ce qui s’est passé, ce que nous avons demandé pour que la concertation se déroule de la meilleure façon, s’il y a des choses à améliorer, etc. Ce rapport présente toutes les évolutions envisagées au cours des discussions, celles dont il sera tenu compte ou pas et pourquoi. Il constitue à ce titre un point de repère pour le public et pour la suite de la concertation.

M-L M : La concertation se déroule jusque-là correctement, toutefois les garants souhaiteraient que la participation du public soit encore plus importante et diversifiée. Nous avons insisté pour que les bilans de l’Andra sur chaque thématique entrent beaucoup plus dans les détails de ce que l’Agence a pris en compte ou pas, et pourquoi. Entre les premières versions de ces documents et les versions rendues publiques, il y a eu une vraie différence sur ce point. A notre demande, les réunions publiques ont aussi pu se tenir en dehors des sites de l’Andra, ce qui a nettement augmenté le nombre de participants.

Concernant la participation du public, plusieurs points retiennent notre attention. Le public participant exprime des préoccupations très concrètes pour influer sur la conception du projet. Mais une partie des participants continue d’interroger l’opportunité du stockage géologique – ce qu’a également démontré le débat public national sur le prochain Plan national de gestion des déchets radioactifs (PNGMDR) de 2019. Et il faut répondre à ces interrogations. Par ailleurs, la concertation doit se poursuivre et s’approfondir sur les sujets des impacts sanitaires et environnementaux du projet. Beaucoup de questions tournent autour de la capacité de l’Andra à tenir les engagements qu’elle affiche, notamment sur les impacts sanitaires et environnementaux. Clairement, le public participant veut savoir comment, en pratique, ces engagements seront respectés et quels moyens seront donnés à la société civile pour faire des contre-expertises.

Une deuxième phase de concertation s’ouvrira prochainement. Comment l’envisagez-vous ?

J-D.V : Nous allons aborder les thématiques liées au contenu industriel de Cigéo : le stockage des colis de déchets radioactifs, leur gestion, la phase industrielle pilote, la gouvernance. Cigéo est un projet unique en France. Il interpelle la communauté nationale. Cette première phase de concertation est restée locale. Or, il faudra désormais trouver des modalités de concertation à l’échelle nationale. Par ailleurs, si cette première phase de concertation a été bornée par le dépôt, en août 2020, du dossier de demande de déclaration d’utilité publique de l’Andra. La concertation se prolongera certainement, sous une forme ou une autre, jusqu’aux travaux eux-mêmes. La prochaine étape décisionnelle – si le processus règlementaire va au bout, et si le pouvoir politique maintient sa position sur Cigéo – sera la demande d’autorisation de création (DAC) puis le décret en Conseil d’Etat qui autoriserait le projet. Nous pensons que la concertation devrait se prolonger, le cas échéant, jusqu’à ce jalon et peut-être se poursuivre jusqu’aux travaux eux-mêmes. Ce temps long et ce dialogue sont à mener sur une double échelle géographie : il n’y a pas beaucoup de projet en France qui relève d’une telle complexité, et dont les enjeux sont autant mis en débat à l’échelle nationale.

 

FOCUS

Qui sont les garants de la concertation ?

Issus de la société civile, les garants de la concertation sont nommés par la Commission nationale du débat public (CNDP). La CNDP désigne tous les mois des garants pour répondre au besoin des projets d’aménagement, d’équipement ou d’infrastructures menés sur le territoire. Ces derniers se sont portés volontaires pour être inscrits sur « la liste nationale des garants de la CNDP ». Le garant est indépendant et sa mission s’inscrit dans le cadre d’une charte de déontologie de la concertation. « Le point commun à tous les garants et ce qui fait la force de notre intervention, c’est notre intérêt pour les sujets d’intérêt général et les mécanismes participatifs. Finalement le CV importe peu… Et je dirais même qu’il il faut apprendre à se déprendre de ses compétences originelles », explique Marie-Line Meaux. Une distance au projet essentielle pour Jean-Daniel Vazelle : « Même si nous devons être en mesure de comprendre les sujets, y compris les plus techniques, nous sommes profanes, comme le public lambda. Et comme lui, nous nous posons plein de questions. ».

Marie-Line Meaux est inspectrice générale de l’administration du développement durable en retraite. Nommée en 2012 présidente de la section « Risques, sécurité, sûreté » du Conseil général de l’environnement et du développement durable, elle fut rapporteure en 2015 de la commission « Démocratie participative » qui a conduit aux ordonnances de 2016 modifiant le code de l’environnement. Elle a présidé le comité de dialogue de l’ANSES sur les radiofréquences et la santé (2014–2018), et est administratrice de la société franco-italienne du projet ferroviaire Lyon-Turin.

Jean-Daniel Vazelle est ingénieur des travaux publics de l’État en retraite. Sa carrière professionnelle au sein des ministères de l’Équipement et de l’Intérieur l’a conduit à exercer des activités très diverses dans les domaines de la maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’œuvre d’infrastructures, de l’aménagement du territoire, de l’environnement, du logement, des risques naturels et technologiques. Il a participé à l’évaluation de politiques publiques et à des missions de retour d’expérience. Il est commissaire enquêteur et garant de la concertation CNDP.

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